Textes
Anciens
MASSINISSA
Massinissa,
le roi des Numides, fut le meilleur et le plus heureux des monarques
de notre temps. Il régna plus de soixante années, restant
toujours en parfaite santé. Il vécut très longtemps
et atteignit L’âge de quatre vingt dix ans. Il l'emportait
sur tous ses contemporains par la vigueur du corps. Quand il fallait
rester debout, il était capable de demeurer ainsi une journée
entière à la même place. Et quand il fallait rester
assis, il n'éprouvait jamais le besoin de se lever. Il endurait
les fatigues que lui imposaient les longues randonnées à
cheval poursuivies de nuit comme de jour, sans se ressentir aucunement
d'une pareille épreuve. Voici encore un fait qui montre bien
sa vigueur physique: quand il mourut, à l'âge de quatre
vingt dix ans, il laissa un fils de quatorze ans, nommé Sthembanos,
qui fut adopté plus tard par Micipsa. Il avait eu, avant ce
dernier né, neuf autres fils. Grâce à l'affection
qui les unissait, jamais, durant tout le cours de sa vie, aucun complot,
aucun crime domestique ne vint troubler la paix de son royaume. Mais
son oeuvre la plus belle, la plus divine fut celle ci: avant lui,
la Numidie tout entière était stérile et l'on
pensait que son sol ne pouvait donner de récoltes; or, le premier
et avec ses seules ressources, il prouva qu'elle pouvait produire
toutes espèces de fruits, autant que n'importe quelle autre
contrée, en constituant des domaines particuliers de dix mille
plèthres qu'il répartit entre ses fils et qui se révélèrent
extrêmement fertiles. Il est juste de rappeler cela, pour rendre
à sa mémoire un hommage mérité.
POLYBE,
Histoire, XXXVI, 16, Collection de la Pléiade, Paris, 1970,
pp. 116g 117
MASSINISSA
ET SCIPION
XXXV.
Commencées déjà auparavant, les négociations
touchant Massinissa avaient trouvé raison sur raison d'être
différées parce que le Numide voulait absolument rencontrer
Scipion en personne, et lui serrer la main pour engager leur foi;
c'est pourquoi Scipion fit un voyage si long et un si grand détour.
Massinissa, qui était à Gadès, informé
par Marcius de l'approche de Scipion, prétexta que ses chevaux
souffraient, enfermés dans cette île; qu'ils étaient
la cause, pour les autres êtres qui se trouvaient là,
d'une disette générale, et la ressentaient eux mêmes;
en outre, que ses cavaliers se rouillaient dans l'inaction, afin d'obtenir
de Magon la permission de passer sur le continent pour piller les
régions d'Espagne les plus proches. Une fois là, il
envoie à Scipion trois chefs numides, pour fixer le moment
et le lieu de leur entretien. Il l'invite à en garder deux
comme otages. Le troisième lui ayant été renvoyé,
pour le conduire où on lui avait dit, les deux généraux
arrivèrent au rendez-vous avec une petite escorte. Le Numide
avait déjà conçu, sur le bruit des exploits de
Scipion, de l'admiration pour ce grand homme, et, il se l'était
figuré aussi imposant et majestueux; mais plus grand encore
fut le respect dont il fut saisi en sa présence: outre que
Scipion avait naturellement grand air, il avait pour parure une longue
chevelure, une tenue non pas d'une élégance raffinée,
mais vraiment virile et militaire; il était à l'âge
où les forces sont dans toute leur vigueur, une vigueur qui
devait, chez lui, plus de plénitude et d'éclat à
ce que la maladie venait, en quelque sorte, de faire refleurir sa
jeunesse.
Presque
stupéfait à son abord, le Numide remercie Scipion d'avoir
libéré le fils de son frère; depuis ce moment,
affirme t il, il a cherché cette occasion, qu'enfin, maintenant
qu'un bienfait des Immortels la lui a offerte il n'a pas laissé
échapper; il désire, ajoute t il, rendre service à
Scipion et au peuple romain de telle façon que pas un étranger
n'ait aidé Rome avec plus d'empressement, quoiqu'il le désire
depuis longtemps, il n'a guère pu le montrer en Espagne, sur
cette terre étrangère et inconnue; mais sur celle où
il est né et a été élevé dans l'espoir
du trône paternel, il le montrera facilement; si c'est ce même
Scipion que les Romains envoient comme général en Afrique,
il espère bien que Carthage ne vivra plus longtemps.
Scipion
eut plaisir à le voir et à l'entendre, sachant que Massinissa
avait été ce qu'il y avait de mieux dans toute la cavalerie
carthaginoise, et voyant le jeune homme lui même manifester
ainsi ses sentiments. Les serments échangés, Scipion
rentra à Tarragone; Massinissa, ayant, avec la permission des
Romains, pillé, pour ne pas paraître passé sans
raison sur le continent, les terres les plus proches, rentra à
Gadès.
TITE
LIVE, Histoire Romaine, Classiques Garnier Paris, tome VI, XXXV, pp.
273 275
MASSINISSA
A CIRTA
Cirta
était la capitale du royaume de Syphax; il s'y réfugia
une foule de vaincus. Le massacre, dans cette affaire, fut moins important
que la victoire, parce qu'il n'y avait eu qu'une lutte de cavalerie;
il n'y eut pas plus de cinq mille tués; inférieur de
plus de moitié fut le nombre des prisonniers faits dans l'attaque
du camp où, tout émue d'avoir perdu son roi, une foule
de combattants s'était réfugiée. Massinissa déclara
que certes, pour lui, en cet instant, rien ne pourrait être
plus beau que d'aller revoir en vainqueur le royaume de ses pères,
recouvré après un si long temps, mais que les succès,
pas plus que les revers, ne donnaient le temps de se reposer. Si donc,
ajouta t il, Laelius lui permet de le précéder à
Cirta, avec la cavalerie, et Syphax enchaîné, l'agitation
et la crainte générale le rendront maître de tout;
Laelius, avec l'infanterie, peut le suivre à petites étapes.
Laelius approuvant, Massinissa, arrivé le premier devant Cirta,
fait appeler les notables de la ville. Mais, auprès de ces
hommes qui ignoraient le sort de leur roi, ni en leur exposant ce
qui s'était passé, ni par des menaces, ni par la persuasion
il ne réussit à rien, avant de leur avoir montré
leur roi enchaîné. Alors, devant un spectacle si affreux,
on commença à gémir, et, d'un côté,
la peur fit abandonner les remparts, de l'autre, l'acquiescement soudain
de gens qui recherchaient la faveur du vainqueur fit ouvrir les portes.
Massinissa, après avoir envoyé des troupes près
des portes et sur les points favorables des remparts, afin de ne laisser
à personne d'issue pour fuir, va au galop prendre possession
du palais royal.
TITE
LIVE, Histoire romaine, Classiques Garnier, tome VI, XII, pp. 473
475
MASSINISSA
CONTRE CARTHAGE
Massinissa
arrache aux Carthaginois la Petite Sirte et les Emporia, Rome lui
donne raison contre ses victimes
En
Afrique, Massinissa, voyant les nombreuses villes établies,
sur les rives de la Petite Syrte, ainsi que l'opulence de la contrée
appelée les Emporia, convoitait depuis longtemps les importants
revenus que procuraient ces pays. Il avait entrepris, peu avant l'époque
qui nous occupe ici, de les enlever aux Carthaginois. Il se fut bientôt
rendu maître du plat pays, car, en rase campagne, il était
le plus fort, du fait que les Carthaginois, qui avaient toujours répugné
à faire la guerre sur terre, étaient alors complètement
amollis par de longues années de paix. Mais il ne parvint pas
à s'emparer des villes, qui étaient bien gardées.
Les deux parties portèrent leur querelle devant le Sénat,
auquel ils envoyèrent à plusieurs reprises des ambassadeurs.
Chaque fois, les Carthaginois voyaient leur thèse rejetée
par les Romains, non pas qu'ils fussent dans leur tort, mais parce
que leurs juges étaient persuadés qu'il était
de leur intérêt de se prononcer contre eux. Pourtant
Massinissa lui même, quand, peu d'années avant, il poursuivait
avec des troupes le rebelle Aphther, avait demandé aux Carthaginois
l'autorisation de traverser le pays en question, mais ceux ci, estimant
qu'il n'en avait aucunement le droit, la lui avaient refusée.
Néanmoins, à l'époque où nous en somme
arrivés, les Carthaginois ne purent plus faire autrement que
de s'incliner devant les sentences rendues à Rome. Ils durent
non seulement abandonner le pays et les villes qui s'y trouvaient
mais encore verser une somme de cinq cents talents, correspondant
aux revenus qu'ils en avaient tirés depuis le début
du conflit...
POLYBE,
Histoire, XXXI, 2 1, Collection de la Pléiade, Paris, 1970,
pp. 1098