Un Alphabet : le Tifinagh.

Voici quelques hypothèses en attendant d'autres travaux. La seule certitude nous vient d'une inscription qui porte une date : celle du temple du roi Massinissa qui attribue la construction du temple vers l'année 192 avant JC. Pour certains, les transcriptions libyco berbères commencent à apparaître vers 150 ans avant notre ère et s'étend sur une période de quelques 600 à 700 ans. Mais cette date bute sur une objection de taille : Etant devant un alphabet déjà perfectionné, il est à supposer une certaine période de développement qui ne peut être atteint en si peu de temps. Camps (1978) remonte la date de l'apparition de Tifinagh au moins jusqu'au VI siècle avant J.C.


L'évolution du Tifinagh :

Alphabet berbère • Officialisation chez les rois Massinissa et Micipsa pendant leurs règnes

• Usage maintenu jusqu'à la période romaine (mentionné chez les auteurs latins: Fulgence le mythographe, Corippus, etc.)

• Son maintien chez les Touarègs jusqu'à nos jours

• Sa renaissance au début des années 70 chez les Berbères d'Afrique du Nord (surtout d'Algérie et du Maroc)




Les origines du Tininagh :


Les ancêtres des Berbères, les Libyens, mot qui vient de "Libou" par lequel les Egyptiens les désignaient, disposaient d'un alphabet à un moment où la plupart des autres peuples n'en avaient pas ou n'utilisaient que des systèmes hiéroglyphiques ou au plus syllabiques. La question a donc été soulevée pour savoir d'où leur vient cet alphabet. Certains seraient tentés de voir dans cette interrogation une manière implicite de sous-entendre que rien ou presque n'est typiquement amazigh ou d'Afrique du Nord. Et s'il s'agit tout simplement d'une invention berbère ? Les Amazighs, surtout au Maroc, certainement excédés par cette recherche éternelle d'une origine extérieure à tout ce qui se rapporte au domaine berbère, ont développé une version fréquemment citée pour consacrer l'origine autochtone de cet alphabet. Pour eux, Tifinagh est un mot composé de "Tifi" qui signifie trouvaille ou découverte et de l'adjectif possessif "nnagh" qui signifie notre.


Tifinagh voudrait donc dire notre trouvaille ou notre découverte. Cette interprétation simpliste et très probablement éronnée ne tient pas compte des variations régionales et de l'évolution de la langue amazighe ; le berbère d'il y'a plus de 2500 ans n'est certainement plus le même que le chleuh ou le kabyle parlés actuellement.

Ci-après, nous exposons les hypothèses les plus fréquemment soulevées.


Une origine inconnue :
Cité par Prasse (1972), M. Cohen (La grande invention de l'écriture et son évolution (1958)), conclut que l'origine de l'alphabet tifinagh reste inconnue. Selon lui, toutes les tentatives de le dériver des hiéroglyphes égyptiens, des alphabets sudarabique, grec, ibérique, voire phénicien punique, n'ont pas réussi à fournir la preuve décisive.


Une origine phénicienne :
Selon Hanoteau, le nom même de l'alphabet amazigh trahit son origine phénicienne. Tifinagh est un nom féminin pluriel dont le singulier serait tafniqt : la phénicienne.
Cette hypothèse est largement partagée par les berbérisants. Ainsi, pour Salem Chaker (1984), "L'alphabet Tifinagh est très certainement d'origine phénicienne, comme la quasi totalité des systèmes alphabétiques existants." Plusieurs raisons ont poussé S. Chaker à considérer que l'alphabet tifinagh est d'origine punique :

- Le nom tifinagh : ce mot vient de la racine /fnq/ qui désigne les phéniciens en sémitique. L'alternance q / gh est une alternance morphologique très fortement attestée en berbère, le cas de la construction de l'intensif en est l'exemple : negh --- neqqa "tuer".
- L'usage de tifinagh s'est surtout développé dans les régions d'Afrique du Nord qui ont connu une influence punique.
- L'orientation originelle est abandonnée au profit d'une pratique épigraphique punique (i.e. horizontal de droite à gauche remplace l'usage courant i.e. vertical)
- Il n'existe aucune tradition pré-alphabétique qui permettrait d'envisager sérieusement l'hypothèse d'une formation autochtone.


Une origine autochtone influencée par le punique :
Ch. Higounet (1986) estime que les Amazighs n'auraient emprunté aux Carthaginois que le principe de l'écriture alphabétique : quant aux caractères, certains auraient été empruntés d'autres puisés dans un fonds local des signes symboliques.


Une origine autochtone :

Plusieurs chercheurs cependant contestent l'origine phénicienne. (St Gsell (1956), J. G. Février (1956), Friedrich (1966)). L'hypothèse punique bute en effet sur plusieurs objections. D'une part, selon Gsell (1956), il est fort probable que les "Phéniciens" ne se soient pas donnés eux-mêmes le nom de "Phéniciens", par lequel les Grecs les désignaient. L'exemple des Amazighs désignés par un autre nom par les Romains - Barbarus d'où est dérivé le mot "berbère" - soutient cette analyse.

La deuxième objection émane de la comparaison entre les deux alphabets et qui montre très peu de ressemblance entre le tifinagh et le phénicien. C'est notamment l'absence de notation de voyelles initiales en berbère, le très peu de lettres identiques (6 lettres) et les différentes dispositions des deux écritures (horizontalement et de droite à gauche pour le punique et verticalement et de bas en haut pour le tifinagh) qui ont conduit à douter de cette origine.

Selon St. Gsell (cité par Khettouch 1996 : 58) "Des figures élémentaires semblables aux lettres de l'alphabet libyque apparaissent déjà, mélangées à des animaux, sur des gravures rupestres relevées un peu partout en Afrique du Nord et antérieures au premier millénaire avant J.C." Selon le même auteur, ces écritures pourraient être le résultat de l'évolution d'un système pictographique où des images seraient devenues des signes phonétiques.

La date de l'apparition de ces figures exclut le lien entre le libyque et le punique. Même constat pour Gabriel Camps (1968 - pp 47 : 60) : le libyque est anté-punique et rien ne prouve que son alphabet a été importé. J. Friedrich (1966), de son côte, soutient que l'alphabet berbère est une soeur de l'alphabet sémitique plutôt qu'un descendant emprunté.




Conclusion :
Il semblerait prudent d'attendre le résultat de futurs travaux sur l'alphabet berbère pour répondre définitivement à la question de ses origines. Le libyque est un domaine très peu investi, un champ d'investigation très large où beaucoup de recherches spécialisées restent à faire. Une conclusion est toutefois incontestable : les berbères disposaient d'un système d'écriture assez élaboré, à une époque où d'autres civilisations en étaient encore à un stade peu évolué.