On
peut se demander pourquoi Rome a décidé tout à
coup, en - 150, de faire disparaître sa rivale qui ne la gênait
plus guère. On a mis longtemps en vedette la fameuse histoire
des « figues de Caton ».
Envoyé
en mission en Afrique en - 152 pour arbitrer un nouveau conflit
entre Carthage et les Numides, Caton est stupéfait de voir
la richesse agricole de l'ancienne rivale. Il rapporte de son voyage
des figues extraordinaires qu'il exhibe au milieu d'une séance
du sénat romain comme preuve de la renaissance ennemie et
s'écrie « Delenda est Carthago » : « Carthage
doit être détruite ».
Puis,
sans arrêt, pendant les deux années suivantes, il va
harceler ses compatriotes pour les mettre sur pied de guerre. On
a cru donc assez logique de voir les causes directes de la troisième
guerre punique dans le désir jaloux de Rome de s'emparer
de terres aussi riches. Il semble cependant que les choses soient
moins simples.
Caton
s'acharna à obtenir du Sénat la décision officielle
pour cette entreprise; à chacune de ses interventions il
revenait sur Carthage pour dire : "je suis aussi d'avis que
Carthage doit cesser d'exister".
En réalité, il craignait une intervention rapide de
Massinissa sur Carthage qui les mettrait devant le fait accompli.
Lui faire la guerre ensuite aurait été difficilement
explicable au peuple romain, il fallait donc agir et agir vite.
La
situation en Afrique même n’était pas l’une
des plus rassurantes. Lors de son voyage en – 152, le parti
populaire ou démocrate régnait à Carthage en
la personne du sufète Giscon, fils d'Amilcar. Non seulement
il soulevait le peuple contre Massinissa, mais aussi contre Rome,
et des tribuns populaires menaient grand tapage contre la tutrice
détestée de la ville.
En
outre, si la flotte militaire de la cité punique avait été
détruite, sa flotte marchande, elle,était plus prospère
que jamais ; non seulement elle inondait de ses marchandises toute
la Méditerranée orientale, mais elle exportait aussi
ses idées subversives, et l'on retrouvait presque toujours
sa trace dans les révoltes populaires qui secouaient à
cette époque le monde méditerranéen.
A
nouveau, et malgré les traités, tous les arsenaux
militaires de Carthage travaillaient.
Cependant,
le sénat ne se décida pas rapidement. Retenant l'idée
de Caton, il attendit d'avoir une raison sérieuse pour attaquer
Carthage. Masinissa, quoique connaissant parfaitement les intentions
du sénat, ne fit rien de son côté pour accomplir
ses desseins. Il ne voulait pas de guerre contre Rome. S'étant
acquis un parti à Rome comme à Carthage il espérait
obtenir sa capitale avec l'assentiment des uns et des autres.
Les
projets de Rome relatifs à la destruction de Carthage n'étaient
pas un secret pour les carthaginois. Ceux ci, malgré leurs
pertes en hommes et en matériels durant la dernière
guerre réussirent à rassembler en peu de temps tous
les matériaux nécessaires à la défense
de leur cité. Une armée de terre confiée à
Hasdrubal quitta la ville pour organiser la défense des points
stratégiques; une flotte fut équipée et répartie
dans les petits ports voisins avec mission d'intervenir au premier
signal.
Pendant
que ces préparatifs étaient activement menés,
des émissaires envoyés auprès des chefs de
tribus négociaient leur appui direct et leur aide matérielle
et humaine. Arcobarzane, petit fils de Syphax, accepta de venir
lui même à la tête d'une armée. Masinissa,
auquel on fit des promesses que l'histoire ne rapporte pas, accepta
de respecter une certaine neutralité. Seul, son fils Gulussa
figura dans les rangs romains, mais n'eut pas à intervenir
Dans ces conditions, il serait peut-être faux d'accuser Caton
d'avoir surestimé le péril punique. Toutefois, son
lancinant « Delenda est Carthago » est combattu à
Rome même, par une partie des sénateurs, avant d'être
finalement accepté. Mais il est convenu que l'on tiendra
la décision secrète et que l'on essaiera tout d'abord
de mettre Carthage dans son tort pour ménager l'opinion publique.
La préparation militaire n'en est pas moins entreprise avec
célérité.